Cinéma & arts visuels
[ si.ne.ma‿e aʁ vi.zɥɛl ]
En quelques mots
Le cinéma et les arts visuels désignent l'ensemble des pratiques artistiques qui prennent pour matière l'image filmée : fiction, documentaire, essai, animation, film d'artiste ou portrait filmé. Fondées sur l'enregistrement du réel ou la création de mondes imaginaires, ces pratiques articulent cadrage, lumière, mouvement, montage et son pour construire des formes visuelles qui peuvent être narratives, poétiques ou expérimentales. Qu'il s'agisse d'un long métrage projeté en salle, d'un court documentaire sur un artisan ou d'un film d'artiste présenté dans un festival, leur point commun est de travailler le regard du spectateur à travers la mise en scène de l'image en mouvement.
Au commencement
Les racines du cinéma se situent au croisement de la photographie, des dispositifs optiques et des spectacles populaires. Au XIXᵉ siècle, les jouets optiques comme le zootrope ou le praxinoscope créent l'illusion du mouvement à partir d'images séquentielles en se basant sur le phénomène de persistance rétinienne.
Après l'invention du daguerréotype en 1839, les techniques se perfectionnent jusqu'au film souple en 1888 avec le Kodak n°1. C'est sur cette base que Thomas Edison et son assistant William K. L. Dickson mettent au point, au début des années 1890, le Kinétographe, la première caméra argentique de prise de vues animées, préparant ainsi l'émergence du dispositif cinématographique.
En 1895, les frères Lumière projettent à Paris leurs premières « vues photographiques animées », notamment La Sortie des usines Lumière, grâce à leur cinématographe, et fixent le principe d'un dispositif associant une caméra, une pellicule, un projecteur, un écran et un public réuni pour la projection.
Spectateur de l'une des premières projections, Georges Méliès saisit la dimension créative d'un tel outil et en explore les possibilités de la mise en scène et du trucage, notamment dans Le Voyage dans la Lune (1902), montrant que le cinéma peut être autre chose qu'un simple enregistrement du réel : un art de l'illusion et du récit. Cette double origine — réaliste avec les Lumière, fantastique avec Méliès — structure durablement l'histoire du cinéma et de ses formes visuelles.
Au fil du temps
Langage cinématographique et mise en scène
Au début du XXᵉ siècle, le cinéma invente progressivement son langage. Des cinéastes de l'École de Brighton expérimentent les premières formes du champ-contrechamp, tandis que D.W. Griffith révolutionne le montage alterné et le gros plan, posant les bases d'un langage narratif novateur. Grâce à ces avancées, Griffith permet au cinéma d'évoluer d'une succession de courtes scènes à une narration cohérente et continue, consacrant ainsi le long métrage comme forme majeure du cinéma narratif.
Le cinéma muet développe une esthétique fondée sur le jeu du noir et blanc, les contrastes de lumière, la composition des cadres — on le voit dans Le Cabinet du docteur Caligari (1920), dont les décors expressionnistes transforment l'image en projection mentale subjective.
Bien avant l'arrivée du parlant, le cinéma muet n'a jamais été silencieux. Dès les premières projections des années 1890, les films sont accompagnés d'un bonimenteur, d'un phonographe, de musique jouée en direct ou de bruitages improvisés, héritage des spectacles d'ombres, des lanternes magiques et du théâtre forain. À mesure que les salles spécialisées se développent autour de 1907, cet accompagnement se structure : le piano laisse place à de petits orchestres, les partitions se standardisent et les machines à bruitages se multiplient.
Après la Première Guerre mondiale, le modèle de la salle fixe avec orchestre s'impose définitivement. L'arrivée du son synchronisé à la fin des années 1920 ne remplace donc pas un silence, mais transforme profondément l'écriture du film : dialogues, ambiances et musique enregistrée deviennent des éléments de mise en scène à part entière.
Plus d'une décennie après ces avancées techniques et esthétiques, Orson Welles et Gregg Toland, dans Citizen Kane (1941), exploitent pleinement cette nouvelle grammaire audiovisuelle, articulant profondeur de champ, lumière, montage et design sonore pour renouveler la manière de raconter en images.
Techniques, supports et mouvements
Historiquement, le support principal est la pellicule 35 mm, puis 16 mm et Super 8, chaque format ayant ses usages dédiés : industrie, documentaire, cinéma d'amateur, film d'artiste... Le travail du directeur de la photographie — lumière, optiques, textures — devient central dans la construction visuelle d'un film. L'esthétique granuleuse de certains films de la Nouvelle Vague, comme À bout de souffle (1960) de Jean-Luc Godard, est liée à des choix techniques : caméras légères, tournage en décors réels, pellicule rapide — et s'inspire également du néoréalisme italien, qui valorisait le tournage en extérieur et l'authenticité des situations.
À partir des années 1980–1990, l'émergence de la vidéo analogique, suivie du développement du numérique, révolutionne les conditions de production cinématographique. La généralisation de caméras plus légères ouvre la voie à un cinéma plus mobile, intime et spontané. L'apparition du montage non linéaire sur ordinateur favorise l'expérimentation formelle, notamment le jeu sur le rythme, les ellipses et les superpositions d'images. Des réalisateurs comme David Fincher ou Steven Soderbergh s'emparent rapidement de ces outils pour fluidifier leur processus de création et explorer de nouvelles possibilités narratives.
Caméras numériques haute résolution, effets visuels (VFX), compositing et étalonnage numérique constituent l'essentiel de la chaîne de création cinématographique. Par ailleurs, le film d'animation, qu'il s'agisse de stop motion, d'animation traditionnelle ou de 3D, s'inscrit pleinement dans ces arts visuels en élaborant des univers entièrement construits, à l'instar des créations de Hayao Miyazaki, notamment dans Le Voyage de Chihiro (2001).
De plus, la diffusion se diversifie : salles de cinéma numérique, plateformes de streaming, festivals hybrides et réseaux sociaux, redessine les usages et les attentes du public.
De nos jours, la démocratisation des outils transforme profondément les pratiques : la possibilité de filmer en haute définition avec un smartphone, l'accès à des logiciels de montage ou d'étalonnage sur ordinateur personnel, et la circulation instantanée des images sur les plateformes numériques rendent la création plus accessible et plus immédiate. Ces usages encouragent l'émergence de formats hybrides où se mêlent écriture personnelle, observation documentaire et mise en scène du quotidien. Alors que ces technologies de production évoluent, l'intégration croissante de l'IA dans le traitement des images ou la génération de contenus redéfinissent les modes de création.
Le mot de la fin
Ancré dans plus d'un siècle d'histoire, le cinéma et les arts visuels continuent d'évoluer au rythme des techniques et des usages, de la pellicule au numérique, de la salle de cinéma aux écrans domestiques. Mais quel que soit le format, l'enjeu reste le même : organiser la lumière, le cadre et le temps pour offrir au spectateur une expérience. Ces pratiques ouvrent la possibilité de choisir comment voir, et d'inventer de nouvelles manières de raconter, d'observer et de transmettre.
Citations & anecdotes
En décembre 1895, Georges Méliès assiste à la première projection publique du Cinématographe à Paris. Fasciné par ces images qui prennent vie, il tente aussitôt d'acheter le brevet aux frères Lumière. Leur refus, poli mais un brin moqueur, ne le décourage pas : il se tourne alors vers Robert W. Paul, pionnier britannique du film, qui lui fournit un mécanisme de prise de vues similaire. L'année suivante, Méliès tourne son premier film, Une partie de cartes — clin d'œil quelque peu parodique d'un sujet déjà filmé par Louis Lumière.
« Le cinéma en noir-et-blanc est vibrant de mirages colorés semblables aux hallucinations sonores du muet. Il ne s'agit pas de la sensation éprouvée de la couleur mais plutôt de la possibilité de penser la couleur sur un mode virtuel. »
Présences fantastiques du noir dans le cinéma en noir et blanc, Hélène Frazik (2023)
Lexique
Zootrope : Jouet optique du XIXᵉ siècle créant l'illusion du mouvement grâce à une succession d'images vues en rotation.
Praxinoscope : Dispositif animé utilisant des miroirs pour refléter des images séquentielles, donnant une animation plus fluide que le zootrope.
Persistance rétinienne : Phénomène visuel selon lequel l'œil conserve brièvement une image, rendant possible l'illusion du mouvement.
Daguerréotype : Premier procédé photographique largement diffusé, mis au point en 1839, produisant des images sur plaque métallique.
Film souple : Pellicule flexible en nitrate ou acétate permettant la prise de vues et le développement du cinéma moderne.
Kodak n°1 : Appareil photographique lancé en 1888 par George Eastman, utilisant un film souple préchargé.
Thomas Edison : Inventeur américain ayant contribué au développement des premiers dispositifs de prise de vues et de projection.
William K. L. Dickson : Assistant d'Edison et concepteur principal du Kinétographe, l'une des premières caméras cinématographiques.
Kinétographe : Caméra mise au point au début des années 1890 par Edison et Dickson pour enregistrer des images animées sur pellicule.
Frères Lumière : Inventeurs français du cinématographe et pionniers des premières projections publiques en 1895.
Vues photographiques animées : Brèves scènes filmées par les Frères Lumière, considérées comme les premières séquences cinématographiques.
La Sortie des usines Lumière : Film de 1895 montrant des ouvrières quittant l'usine familiale, emblème des débuts du cinéma.
Cinématographe : Appareil inventé par les frères Lumière permettant de filmer et de projeter des images animées, et de préparer facilement les bandes destinées à la projection.
Georges Méliès : Illusionniste et cinéaste français, pionnier du trucage et des premiers récits fantastiques au cinéma.
Le Voyage dans la Lune : Film de Méliès (1902) mêlant trucages, narration et décors peints, symbole du cinéma fantastique naissant.
École de Brighton : Groupe de cinéastes britanniques du début du XXᵉ siècle, innovateurs du montage et du récit filmique.
Champ-contrechamp : Technique de montage alternant deux axes de caméra opposés, souvent utilisée pour les dialogues.
D.W. Griffith : Réalisateur américain ayant structuré le langage cinématographique moderne par le montage narratif.
Montage alterné : Procédé alternant deux actions se déroulant en parallèle pour créer tension ou simultanéité.
Gros plan : Cadrage serré mettant en valeur un visage ou un détail, amplifiant l'expression ou l'information.
Le Cabinet du docteur Caligari : Film expressionniste allemand (1920) aux décors stylisés illustrant une vision subjective du réel.
Bonimenteur : Commentateur accompagnant les projections muettes par un récit improvisé ou explicatif.
Phonographe : Appareil d'Edison permettant de lire des enregistrements sonores lors des premières projections.
Machines à bruitages : Dispositifs mécaniques créant des sons pour accompagner les films muets.
Orson Welles : Cinéaste américain, auteur de Citizen Kane, innovateur de la mise en scène visuelle et sonore.
Gregg Toland : Chef opérateur de Welles, connu pour son usage de la profondeur de champ et des éclairages contrastés.
Citizen Kane : Film de 1941 révolutionnant le langage visuel par sa mise en scène et son travail sonore.
Directeur de la photographie : Responsable de l'image d'un film : lumière, cadrage, optiques et textures visuelles.
Nouvelle Vague : Mouvement français des années 1950–60 favorisant tournages légers, liberté formelle et écriture personnelle.
À bout de souffle : Film de Godard (1960) emblématique de la Nouvelle Vague par son style vif et improvisé.
Jean-Luc Godard : Cinéaste majeur de la Nouvelle Vague, auteur de films expérimentant récit, montage et prise de vue.
Pellicule rapide : Pellicule sensible permettant de filmer dans des conditions lumineuses réduites, avec grain prononcé.
Néoréalisme italien : Mouvement des années 1940–50 privilégiant les décors réels, la vie quotidienne et les acteurs non professionnels.
Vidéo analogique : Technologie d'enregistrement vidéo sur bande magnétique, largement utilisée dès les années 1980.
Vidéo Numérique : Technologie permettant l'enregistrement et le traitement des images sous forme de données informatiques.
David Fincher : Réalisateur américain utilisant fortement les outils numériques et le montage non linéaire.
Steven Soderbergh : Cinéaste américain explorant formats légers, tournages numériques et structures narratives flexibles.
Étalonnage numérique : Traitement informatique des couleurs d'un film pour en définir la tonalité visuelle.
Compositing : Assemblage numérique de plusieurs couches d'image pour créer un plan final.
Film d'animation : Film construit image par image, en techniques traditionnelles ou numériques.
Stop motion : Animation image par image réalisée à partir d'objets ou de marionnettes réels.
3D : Animation numérique créant des formes et espaces en trois dimensions.
Hayao Miyazaki : Cinéaste japonais d'animation, cofondateur du Studio Ghibli.
Le Voyage de Chihiro : Film d'animation de Miyazaki (2001), récompensé internationalement pour son univers visuel.
Festival hybride : Manifestation combinant diffusion physique et en ligne, typique des nouveaux modes de circulation des films.
Liens & images
Image 01 : Sallie Gardner at a Gallop, Eadweard Muybridge, 1878 — https://www.loc.gov/
Image 02 : Affiche L'Arroseur arrosé, Auzolle Marcel, Paris, 1896 — https://fr.wikipedia.org/
Image 03 : Décors de film, Godzilla, 1998 — https://wikizilla.org/
